jeudi 21 janvier 2016

UNE RESTAURATION DE POIDS





Restauré, dites-vous ? Non… sauvé, seulement sauvé. Restaurer un tableau, c’est à dire, à quelque chose près, lui redonner son aspect initial, impose, à part entière, la maîtrise d’un véritable métier, et donc la mise en œuvre de techniques spécifiques qui ne laissent nulle place à l’improvisation. Je me suis donc contenté de sauver, avec des gestes simples, ce grand tableau.



Accroché depuis des lustres prés du plafond de la chapelle N-D de la Gardette, trop haut perché, il semblait oublié de tous, mis au rencard.



Donc, tout d’abord, il a fallu le décrocher. Il faut vous dire : 2m 50 de hauteur sur 2m de large, 80 kg environ, situé à 6 ou 7 mètres du sol, il y avait de quoi calmer tous les enthousiasmes, toutes les précipitations et demander l’aide bienfaisante des services techniques municipaux. Et, une fois à terre, il sembla encore plus grand, lui aussi…


Après avoir séparé le châssis du cadre - un cadre d’une largeur, d’une épaisseur et d’un poids en rapport avec le format de la toile ! - les choses sérieuses purent alors commencer. Nettoyer un tableau sali par le temps est toujours une aventure dont on ne devine pas l’issue avant la fin : il y a de l’émotion et de la curiosité dans les premiers coups d’éponge. Prudents et avides…


Bien sûr, on pouvait, auparavant, d’en bas, voir la position des personnages et l’agencement de la scène. Le tableau était "lisible" comme peut l’être n’importe quelle image suffisamment précise dans son trait pour qu’on puisse en saisir le sens immédiat. Mais, outre sa signification, plusieurs raisons nous avaient amené, le père Astre et moi-même, à envisager un sauvetage de l’œuvre. Si son format et son ancienneté supposée eussent pu à eux seuls justifier l’opération, la présence à l’arrière-plan de la silhouette de Saint-Paul-de-Vence, bien reconnaissable à son aspect pyramidal et à ses deux tours du sommet, nous offrait un argument supplémentaire de taille. Ce tableau parlait de Saint- Paul-de-Vence et il eut été navrant de le laisser se détériorer davantage. 
Il est temps, ici, de remercier chaleureusement Madame le Docteur Véronique Larcher et Madame Nadine Gastaud, Adjointe à la Culture, pour leur aide précieuse. 


Les premiers coups d’éponge firent apparaître un élément totalement invisible sous la couche de crasse… De cette découverte allait découler non seulement l’identification des personnages mais aussi le sujet même de l’œuvre !



Le personnage féminin, debout à droite de la scène, tient en ses mains la maquette de la chapelle sainte Claire (reconnaissable entre toutes avec ses trois clochetons de briques). Nous étions bien à Saint-Paul- de-Vence ! D’autres coups d’éponge permirent de découvrir la couleur de son vêtement : la robe de bure des franciscains. C’est sainte Claire. Les deux personnages agenouillés de part et d’autre du paysage sont vêtus comme des dominicains : c’est saint Dominique qui tient le Rosaire et sainte Catherine de Sienne en prière. Le quatrième protagoniste, debout, faisant pendant à sainte Claire, représente saint Paul. Chauve selon la tradition romaine, il tient contre son flanc les armoiries de la ville. De sa main droite, d’un geste ample, il désigne au spectateur la silhouette du village découpée dans le lointain. Les quatre personnages sont en adoration devant l’apparition, dans le haut, de la Vierge Marie et de l’Enfant.



À l’observation, une chose est frappante qui va s’imposer au regard : l’œuvre n’offre pas d’homogénéité stylistique. C’est-à-dire que le tableau n’a, sans doute, pas été peint par un seul artiste, mais par plusieurs et d’inégal talent ! En matière de peinture, il est difficile de se contrefaire… Chassez le naturel, il revient au pinceau ! Un peu comme les empreintes digitales ou bien les traces d’ADN… D’autant plus que là, ça se voit, et au premier coup d’œil,  comme le nez au milieu de la figure. Et c’est bien à ce niveau que se situe le problème : les visages… Pour ma part, je vois au moins trois "mains" différentes. Le visage de saint Paul est très réussi, la carnation de la chair est riche et sensible. Ce peintre-là savait véritablement peindre… Une deuxième manière, encore honnête bien que déjà inférieure, est perceptible quant aux représentations de la Vierge Marie, de sainte Claire, de saint Dominique et de sainte Catherine : sans erreurs ou gaucheries, elles accusent néanmoins une certaine raideur, une expression conventionnelle et quelque peu édifiante. Ce groupe montre cependant des beaux passages, des belles habiletés (les grains, les perles du Rosaire, les mains..) qui donnent à l’ensemble une impression heureuse d’harmonie apaisante, à défaut d’une inspiration profonde et des audaces d’un talent maîtrisé. Il y a incontestablement là du métier à défaut de souffle. Enfin, hélas, une troisième main, détectable à la faiblesse coupable de son dessin, s’est chargée "d’arranger" le pauvre Enfant Jésus… La tête est disproportionnée au corps, bien trop grosse ; le corps est grossièrement et faussement dessiné… Pauvre petit Jésus ! 



La toile a été remontée sur un châssis moderne, mais je pense que la peinture peut être datée de la seconde moitié du XVIII siècle. 


Bien entendu, il n’y a pas de signature, ou du moins, je n’en ai pas trouvé… La disparité du style fait penser à un travail collectif : des ateliers itinérants, ligures, lombards ou piémontais, venaient prendre des commandes dans les bourgs de quelque importance et, ainsi que nos artisans actuels, commençaient le travail,  l’abandonnaient un temps pour débuter, ailleurs, un autre chantier, puis revenaient continuer l’œuvre… Cette explication – elle m’est personnelle et n’a que cette piètre valeur – justifierait de telles différences manifestes, de telles discordances au sein d’une même œuvre.


Paul Conte








3 commentaires:

  1. Belle explication de cette toile ! Il est vrai que vos commentaires sont très explicites et on note bien les différences de styles. Bravo pour ce travail. J'aurai grand plaisir à le découvrir. Et votre texte est plein de vie ! Bravo

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  2. massardier gilles22 janvier 2016 à 23:07

    Très bonne description et étude des parties du tableau, très très intéressant de voir tout ça.
    encore bravo et félicitations pour tes travaux de peinture. Amitiés

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  3. Anne-Marie Cases24 janvier 2016 à 12:04

    Reconstitution passionnante. Bravo, on sent la patte de l'artiste !

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