Restauré, dites-vous ? Non… sauvé, seulement sauvé. Restaurer un tableau, c’est à dire, à quelque chose près, lui redonner son aspect initial, impose, à part entière, la maîtrise d’un véritable métier, et donc la mise en œuvre de techniques spécifiques qui ne laissent nulle place à l’improvisation. Je me suis donc contenté de sauver, avec des gestes simples, ce grand tableau.
Accroché depuis des lustres
prés du plafond de la chapelle N-D de la Gardette, trop haut perché, il
semblait oublié de tous, mis au rencard.
Donc, tout d’abord, il a
fallu le décrocher. Il faut vous dire : 2m 50 de hauteur sur 2m de large,
80 kg environ, situé à 6 ou 7 mètres du sol, il y avait de quoi calmer tous les
enthousiasmes, toutes les précipitations et demander l’aide bienfaisante des
services techniques municipaux. Et, une fois à terre, il sembla encore plus
grand, lui aussi…
Après avoir séparé le
châssis du cadre - un cadre d’une largeur, d’une épaisseur et d’un poids en
rapport avec le format de la toile ! - les choses sérieuses purent alors
commencer. Nettoyer un tableau sali par le temps est toujours une aventure dont
on ne devine pas l’issue avant la fin : il y a de l’émotion et de la
curiosité dans les premiers coups d’éponge. Prudents et avides…
Bien sûr, on pouvait, auparavant,
d’en bas, voir la position des personnages et l’agencement de la scène. Le
tableau était "lisible" comme peut l’être n’importe quelle image
suffisamment précise dans son trait pour qu’on puisse en saisir le sens
immédiat. Mais, outre sa signification, plusieurs raisons nous avaient amené,
le père Astre et moi-même, à envisager un sauvetage de l’œuvre. Si son format
et son ancienneté supposée eussent pu à eux seuls justifier l’opération, la
présence à l’arrière-plan de la silhouette de Saint-Paul-de-Vence, bien
reconnaissable à son aspect pyramidal et à ses deux tours du sommet, nous
offrait un argument supplémentaire de taille. Ce tableau parlait de Saint- Paul-de-Vence et il eut été navrant de le laisser se détériorer davantage.
Il est temps, ici, de remercier chaleureusement Madame le Docteur Véronique Larcher et Madame Nadine Gastaud, Adjointe à la Culture, pour leur aide précieuse.
Il est temps, ici, de remercier chaleureusement Madame le Docteur Véronique Larcher et Madame Nadine Gastaud, Adjointe à la Culture, pour leur aide précieuse.
Les premiers coups d’éponge
firent apparaître un élément totalement invisible sous la couche de crasse… De
cette découverte allait découler non seulement l’identification des personnages
mais aussi le sujet même de l’œuvre !
Le personnage féminin, debout à droite de la scène, tient en ses mains la maquette de la chapelle
sainte Claire (reconnaissable entre toutes avec ses trois clochetons de
briques). Nous étions bien à Saint-Paul- de-Vence ! D’autres coups d’éponge
permirent de découvrir la couleur de son vêtement : la robe de bure des
franciscains. C’est sainte Claire. Les deux personnages agenouillés de part et
d’autre du paysage sont vêtus comme des dominicains : c’est saint
Dominique qui tient le Rosaire et sainte Catherine de Sienne en prière. Le
quatrième protagoniste, debout, faisant pendant à sainte Claire, représente
saint Paul. Chauve selon la tradition romaine, il tient contre son flanc les
armoiries de la ville. De sa main droite, d’un geste ample, il désigne au
spectateur la silhouette du village découpée dans le lointain. Les quatre
personnages sont en adoration devant l’apparition, dans le haut, de la Vierge
Marie et de l’Enfant.
À l’observation, une chose
est frappante qui va s’imposer au regard : l’œuvre n’offre pas
d’homogénéité stylistique. C’est-à-dire que le tableau n’a, sans doute, pas été
peint par un seul artiste, mais par plusieurs et d’inégal talent ! En
matière de peinture, il est difficile de se contrefaire… Chassez le naturel, il
revient au pinceau ! Un peu comme les empreintes digitales ou bien les
traces d’ADN… D’autant plus que là, ça se voit, et au premier coup d’œil, comme le nez au milieu de la figure. Et
c’est bien à ce niveau que se situe le problème : les visages… Pour ma
part, je vois au moins trois "mains" différentes. Le visage de saint
Paul est très réussi, la carnation de la chair est riche et sensible. Ce
peintre-là savait véritablement peindre… Une deuxième manière, encore honnête
bien que déjà inférieure, est perceptible quant aux représentations de la
Vierge Marie, de sainte Claire, de saint Dominique et de sainte
Catherine : sans erreurs ou gaucheries, elles accusent néanmoins une
certaine raideur, une expression conventionnelle et quelque peu édifiante. Ce
groupe montre cependant des beaux passages, des belles habiletés (les grains,
les perles du Rosaire, les mains..) qui donnent à l’ensemble une impression
heureuse d’harmonie apaisante, à défaut d’une inspiration profonde et des
audaces d’un talent maîtrisé. Il y a incontestablement là du métier à défaut de
souffle. Enfin, hélas, une troisième main, détectable à la faiblesse
coupable de son dessin, s’est chargée "d’arranger" le pauvre Enfant
Jésus… La tête est disproportionnée au corps, bien trop grosse ; le corps
est grossièrement et faussement dessiné… Pauvre petit Jésus !
La toile a été remontée sur
un châssis moderne, mais je pense que la peinture peut être datée de la seconde
moitié du XVIII siècle.
Bien entendu, il n’y a pas
de signature, ou du moins, je n’en ai pas trouvé… La disparité du style fait
penser à un travail collectif : des ateliers itinérants, ligures, lombards
ou piémontais, venaient prendre des commandes dans les bourgs de quelque
importance et, ainsi que nos artisans actuels, commençaient le travail, l’abandonnaient un temps pour débuter,
ailleurs, un autre chantier, puis revenaient continuer l’œuvre… Cette
explication – elle m’est personnelle et n’a que cette piètre valeur –
justifierait de telles différences manifestes, de telles discordances au sein
d’une même œuvre.
Paul Conte
Belle explication de cette toile ! Il est vrai que vos commentaires sont très explicites et on note bien les différences de styles. Bravo pour ce travail. J'aurai grand plaisir à le découvrir. Et votre texte est plein de vie ! Bravo
RépondreSupprimerTrès bonne description et étude des parties du tableau, très très intéressant de voir tout ça.
RépondreSupprimerencore bravo et félicitations pour tes travaux de peinture. Amitiés
Reconstitution passionnante. Bravo, on sent la patte de l'artiste !
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